
Ce lundi, c’est réunion au sommet avec mon fiston. Sujet sérieux à l’ordre du jour, mais comme toute diplomatie qui se respecte, ça se négocie mieux autour d’une bonne assiette. Direction donc L’Amirauté à Tilff, point de chute stratégique suggéré par Julien.
Faut dire que si vous dites « Tilff » à un local, il vous répondra « Amirauté », réflexe pavlovien, ou alors « Porais » si vous causez folklore et poireaux géants si vous êtes du cru. Car oui, les Porais de Tilff, c’est du patrimoine en vert et blanc. Petit détour historique pour les non-initiés… au XVIᵉ siècle, un jardinier du cru, Djôsef li r’Pikeû, aurait mis la main sur un engrais mystère qui vous faisait pousser du poireau taille cathédrale. En 1586, les braves Tilffois livrent une montagne de porais en paiement d’une dîme… mais la moitié disparaît en route. Réaction du chanoine : « Mais vos poireaux, ils avaient donc des jambes pour s’enfuir ? » Bam ! La légende était née, et avec elle, un groupe carnavalesque haut en bonne humeur : les Porais, dignes représentants de l’esprit frondeur et joyeusement loufoque des Liégeois en général, et des Tilffois en particulier.
Mais revenons à nos assiettes…
Canicule belge ce jour-là. Oui, ça existe ! Et quand le mercure grimpe, le gosier réclame de l’ombre et du blanc sec. On opte donc pour un Sancerre bien frais, et quand je dis « un », je veux bien sûr dire « deux », en bons disciples de Bacchus que nous sommes.
En entrée, je propose l’assiette apéro de luxe. A son arrivée, on se dit : « Oufti ! Nom di Dju, c’est du sérieux, du lourd et du solide ». À deux, on attaque ça vaillamment… et on finit par battre en retraite, drapeau blanc dressé entre les tranches de saucisson restantes et les cubes de fromage. Bin oui, il reste encore le plat ! Et quel plat, l’Américain haché minute. Une valeur sûre. La viande est délicieuse, la petite salade rafraîchissante, les frites maison sont croustillantes à souhait, et la mayonnaise maison… Ah, cette mayo ! Elle mérite son paragraphe. Onctueuse, équilibrée, elle pourrait postuler à un poste ministériel.
Côté théorie des fluides, on élève le débat avec un Pinot Noir “Weg” 2021 signé Mélanie Pfister, viticultrice alsacienne et sorcière du terroir depuis 1780 (enfin, sa famille, pas elle personnellement, faut voir à ne pas abuser). Après un petit temps de repos, le vin s’ouvre comme un roman de Simenon : fruits rouges, touche de cassis, un poil d’épices et un soupçon de poivre blanc. En bouche, c’est net, franc, vif, profond. Les vieilles vignes parlent, et moi j’écoute, verre en main, l’œil humide. Bref, un accord parfait pour notre repas de princes en bermuda.

